(Mère commence par lire pour la radio indienne le message qu’elle a l’intention de diffuser pour le 21 février 1968 à l’occasion de ses quatre-vingt-dix ans.)
«Ce n’est pas le nombre d’années vécues qui vous rend vieux: vous devenez vieux dès que vous cessez de progresser. Quand vous sentez que vous avez fait tout ce que vous aviez à faire, quand vous pensez que vous savez tout ce que vous devez savoir, quand vous voulez vous asseoir et jouir du résultat de votre effort avec le sentiment que vous avez assez travaillé dans la vie, alors immédiatement vous devenez vieux et vous commencez à décliner. Quand, au contraire, vous êtes convaincu que ce que vous savez n’est rien en comparaison de tout ce qui reste à savoir, quand vous sentez que ce que vous avez fait est juste le point de départ de tout ce qui reste à faire, quand vous voyez l’avenir comme un soleil attrayant et rayonnant de toutes les innombrables possibilités qui restent à accomplir, alors vous êtes jeune, quel que soit le nombre d’années que vous avez passées sur la terre, jeune et riche de toutes les réalisations de demain. Et si vous ne voulez pas que votre corps vous trahisse, évitez de gaspiller vos énergies en agitation inutile. Quoi que vous fassiez, faites-le dans le calme et l’équilibre. La plus grande force est dans la paix et le silence.»
L’AGENDA DE MÈRE, 8 Novembre 1967
(Mère) Il y a un ou deux jours, je ne sais pas, il y a eu comme une vision d’ensemble de cet effort de la terre vers sa divinisation et c’était comme si quelqu’un disait (ce n’est pas «quelqu’un»: c’est la conscience-témoin, la conscience qui constate, mais ça se formule en mots – très souvent, ça se formule en anglais et j’ai comme l’impression que c’est Sri Aurobindo, la conscience active de Sri Aurobindo, mais quelquefois ça se traduit en mots seulement dans ma conscience), et ces jours-ci, c’était quelque chose qui disait: «Oui, le temps des proclamations, le temps des révélations, est passé – maintenant, à l’action.» Au fond, les proclamations, les révélations, les prophéties, tout cela, c’est très confortable, ça donne l’impression de quelque chose de «concret»; maintenant c’est très obscur, le sentiment que c’est très obscur, invisible (ce ne sera visible que dans les résultats longtemps-longtemps en avant), pas compris.
Ça, pas compris… Il y a quelqu’un, C, qui voulait traduire les Notes sur le Chemin et les À Propos en hindi, en un volume. Il en a parlé à R, et R m’a écrit que «Les gens ne comprennent rien» et que lui, a l’impression que «Le langage humain est impropre à exprimer cela, alors qu’est-ce que ça va devenir en traduction? – Une platitude. Il vaudrait mieux attendre.» Je suis pleinement d’accord, je lui ai dit qu’il valait mieux attendre. Mais ça m’a donné la mesure exacte. Parce que R et C sont des gens qui sont « expected to understand » [censés comprendre], et il est évident qu’ils ne comprennent rien. Et alors Nolini était là, je lui ai donné cette lettre à lire, et il a dit: «Ah! oui.» – Pour lui aussi, c’est comme cela, pas compris! Alors c’est général. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui me citent ce que j’ai dit ou des expériences qu’ils ont eues, des explications qu’ils donnent «d’après» ces Notes sur le Chemin et chaque fois je vois qu’ils n’ont rien compris. Alors cela me paraît être une incompréhension générale (silence).
Ça appartient à un domaine qui n’est pas encore prêt à être expliqué, manifesté en mots. C’est évident, je le vois bien, n’est-ce pas, c’est parce qu’ils sont tous bien gentils et ils ont beaucoup de respect, alors ils ne permettent pas à leur mental de dire: «C’est du radotage», mais pour eux, ça appartient à l’incompréhensible. Et en fait, dans la mesure où c’est vraiment nouveau, c’est incompréhensible. Ce que je dis ne correspond pas à une expérience vécue dans celui qui lit.
Et je vois bien, je vois tellement le petit travail comme cela (geste de renversement) qu’il faudrait pour que ça devienne une révélation prophétique! Un petit travail, un petit renversement dans le mental – l’expérience est tout à fait en dehors du mental, et alors ce qu’on en dit… (Mère hoche la tête). Justement, comme ce n’est pas mental, c’est à peu près incompréhensible, et pour que tout cela (oh! c’est visible), pour que tout cela devienne accessible, il faudrait juste (même geste) un petit renversement dans le mental, et cela devient prophétique. Et ça… ce n’est pas possible. Ça perdrait sa vérité. Voilà, c’est en route.
L’AGENDA DE MÈRE, 15 Novembre 1967